11 escales !
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Proposition d'écriture de Babeth :
Découvrir Malaucène au bras d'une personne célèbre
Vous êtes dans la ville de Malaucène, il pleut et vous vous abritez sous un parapluie, à votre bras un acteur, une actrice, une personne célèbre dont vous connaissez un peu, beaucoup ou pas du tout la vie et l'oeuvre.
A vous d'écrire sous la forme d'un monologue ou d'un dialogue cette déambulation dans la ville.
Je ne sais plus ni pourquoi, ni comment, je sais seulement que nous étions à Malaucène. Il pleuvait depuis des heures et la ville était déserte. Elle était grande, plus grande qu'au cinéma. Nous marchions en silence d'un même pas précis, prenant l'angle d'une rue sans concertation dans une réelle connivence. Chaque fois que ses yeux se portaient sur une belle porte coiffée d'un linteau sculpté, une vierge dans une niche ou la tête d'un ange elle pointait un doigt sorti d'un bras immensément long et lâchait un : Regardez là ! Arrivées au bas de la calade qui conduit au calvaire nous avions fait peut-être mille pas. L'eau qui ruisselait nous tendait quelques pièges. Pourtant rien ne semblait la perturber ni la pluie glacée qui cinglait nos visages ni l'eau qui déformait son long manteau de laine feutrée. Derrière elle flottait un délicieux parfum. Elle s'accrocha à la rampe et bientôt dépassa la grille. Tout autour de nous la ville s'étalait, plus que jamais rincée. Elle s'agenouilla au pied de la croix principale, leva des yeux ténébreux vers l'invisible dieu. A cet instant, à cet instant seulement je vis Mathilde de La femme d'à côté. Ne manquait plus qu'Albert. Adieu Fanny Ardant. Je tournai les talons, l'abandonnant à son extase. J'en laissai échapper mon parapluie.
Babeth
Il pleut, il pleut, et pleut encore… et me voilà avec cette actrice sous un parapluie, actrice que je connais vaguement - très vaguement, j’ai d’ailleurs oublié son nom -, et qui a autant envie que moi de se balader dans Malaucène sous la flotte ! Et, chose curieuse: elle ne sait pas plus que moi ce qu’elle fait là, et pourquoi elle est là, avec moi…
Au début, ambiance fraîche, voire glaciale: je n’ai rien à lui dire, et elle, apparemment, non plus ! Nous parcourons vite, très vite les rues mouillées: personne, un chat, un chien sans maison, quelques - rares - magasins fermés... La cloche de l’église – midi, déjà ! - nous fait sursauter, on se regarde : non, décidément, ce truc ne nous va pas, mais alors pas du tout!
Un café surgit, L’Âne Vagabond, qui nous happe : vitres embuées - promesse de chaleur -, trois – quatre habitués appuyés les uns sur les autres contre le bar, une matrone patronne en majesté, exactement ce qu’il nous faut ! On s’engouffre. Heureusement, mon actrice, on va l’appeler Lola les Longues Jambes, n’a pas l’air connue par ici, malgré son look : vaste pull fuchsia, tignasse filasse informe et énormes Rangers rouges. Un chocolat chaud, deux, trois, des blagues débiles sur les mecs du bar et des fou-rires idiots d’ados attardées, et nous voilà les meilleures copines du monde!
Quand le producteur s’amène, furax - Non, mais qu’est-ce que vous foutez là, toutes les deux, on vous cherche depuis des heures dans ce bled pourri ! Tu crois peut-être qu’on a qu’ça à foutre, hein, Sandrine ! On bosse là, j’te signale ! L’idée, c’était de t’imprégner du lieu, pas de faire l’andouille avec cette connasse ! Bon, ben t’as plus qu’à r’commencer ! Tu sais combien ça va m’coûter, cette connerie ? Et toi, la meuf là, comment qu’elle s’appelle, celle-ci ? Ah, Geneviève, ça m’étonne pas! Tu dégages, j’t’ai assez vue, tu m’as fait perdre assez de temps ! Allez, du balai !!
Geneviève S.
Malaucène. Ce n’est pas la croisette. Il n’y a pas de palme d’or mais « La marche des acteurs », une manifestation organisée par la médiathèque.
Nous les avons vu arriver, à pied depuis la source du Groseau.
Terre de lecteurs ? Nous sommes là, bien sûr.
Le beau temps ? Il est resté à Cannes. Il pleut. Sans discontinuité. J’ai un chapeau gouttière et des chaussures éponge.
Il s’approche, un parapluie aussi grand qu’un parasol. Il a vieilli. Mais j’éprouve un double choc. Le coté irréel de le rencontrer et les images violentes qui me reviennent, tel un boomerang, depuis que j’ai vu « Le vieux fusil. » Je m’avance.
Il me fait signe, là, devant le passage de l’âne. Une invitation à le rejoindre. Je bafouille devant son sourire, sa voix que je reconnais aux premières intonations, son regard. Sous le même parapluie, nous allons vers la fontaine du Téron. J’ai l’impression d’entendre une cavalcade des chevaux. Nous regardons en silence ce visage sculpté au regard fou. J’y vois celui d’un soldat allemand.
Puis la magie prend le dessus. Notre conversation est captée par ce village, ses petites rues, ses façades colorées, ses porches, ses fontaines sans eau, ses calades aux pavés glissants. Nous sommes curieux de savoir à quoi ressemble ce banc le plus long du monde. Puis nous prenons la montée de l’ancien fort, vers le calvaire. Le lavoir est vide. Les cloches égrènent les heures. Devant le mur aux niches béantes, Philippe Noiret prend mon bras et nous grimpons le long de la calade aux grands cyprès. En haut, le regard sur l’horizon, entre deux oliviers, il dit « Dommage pour les fleurs, les odeurs, le chant des oiseaux… »
Il dit encore « Pourquoi l’eau ne court que sur le boulevard ? Pourquoi toutes ces fontaines et lavoirs sans eau ? »
J’aimerais l’entendre parler de ses films. Mais c’est Malaucène qui s’impose.
Soudain il éclate de ce rire tonitruant que j’aime entendre. Il ferme le parapluie. Nous dévalons et explorons trempés, toutes les petites rues où nous ne sommes pas encore passés.
Je suis enfin libérée du « vieux fusil ».
Geneviève V.
Sa bouille ronde le rend sympathique. Je ne le connais pas et pourtant j’accepte le pari :
"Eh ! la Jo, tu peux te charger du poète pour la visite de Malaucène ? Je vous jure, elle a de ces idées cette jeune script !"
J’ai la trouille. Lui rigolard, sans complexe, moi raide et hésitante. Faut dire qu’il est intimidant le Sergi, avec son mètre quatre vingt et quelques, son sourire conquérant et son délicieux accent catalan.
Il est André Pieyre de Mandiargues dans son dernier film*, enfin, il est le poète usurpateur. Comme souvent un rôle provocant mais attachant, celui du séducteur prêt à tout pour conquérir une belle.
On arrive au Passage de l’âne, passage obligé pour rejoindre la rue de la Juiverie où se tient le buffet de bienvenue. On le sait, ce passage est étroit. A mon corps défendant, je me retrouve contre sa large poitrine. Un trouble inouï me gagne. Il me regarde d’un air moqueur…….
Josiane
*La fiancée du poète
A Malaucène, au bras d’Edgard Morin
‘L’individu humain est une petite particule de vie, un moment éphémère’ (Edgard Nahoum, dit Edgard Morin)
Ce 2 novembre, nous avions rendez-vous à Malaucène pour une visite mémorielle du quartier de la Juiverie. Miracle de la généalogie moderne, l’organisation des juifs du Sud de France nous avait découvert des ancêtres communs ayant vécu dans ce village. J’avais répondu à l’appel. Il pleuvait à torrent ce jour-là. Malgré la pluie battante, une trentaine de silhouettes, à moitié englouties sous les capuches et les parapluies, attendaient devant le passage.
Dans cette assemblée fantomatique, quelle ne fut ma surprise de découvrir un visage connu, une figure, devrais-je dire ! Ce vieux monsieur voûté au regard malicieux, que les autres, a priori, ne connaissaient pas, c’était Edgard Morin lui-même !
Le guide nous ayant invité à le suivre sous le passage étroit, dit « passage de l’âne », prévu par les anciens pour entrer dans le quartier de la Juiverie, je me retrouvais, un peu gênée, sous le parapluie du vieil homme, dont j’admirais tant l’engagement indélébile. « Le hasard n’existe pas ! », aurait dit ma cousine Rachel…
C’est alors que, juste devant la fontaine des 3 Visages, Edgard Morin fit un pas de côté et glissa sur une calade. Je le retenais de justesse par le bras. Il me sourit, espiègle. « La chute n’est rien, dit-il, sauf quand on est au bord du précipice ! ».
La glace était brisée entre nous. Nous avons continué à arpenter les ruelles du village, bras-dessus bras-dessous sous le parapluie, nous racontant nos peurs, nos rêves, nos espoirs. Le guide, qui caracolait devant, avait entraîné le groupe sur le chemin du Calvaire. Nous avons préféré rester en bas, discutant tranquillement à l’abri sur le banc du lavoir. Tant de mystères à percer dans la ligne du temps. Tant de complexité dans la trajectoire d’une vie. Soudain, nous avons évoqué nos arrière-grands-mères. Elles étaient là, comme présentes. Qui sait… peut-être avaient-elles lavé ici ensemble le linge sale des familles du village !
Kris
Rencontre improbable avec Robert de NIRO.
Appelez-moi Robert ce sera plus simple, je vous appellerai Rachel.
Qu'est-ce qui m'arrive ? Garder mon calme.
Vous m'autorisez à vous appeler Robert ? J'ai bien saisi ? Ce n'est pas une blague ?
Pas du tout. Je suis seul ici pour quelques heures, le hasard n'existe pas. Je vous ai entendue. Vous parliez de moi avec éloquence. J'aimerais que nous découvrions ensemble cette petite ville provençale.
Bon d'accord, mais il pleut !
Tu es nulle Rachel, tu es là avec Robert de NIRO et tout ce que tu trouves à dire c'est "il pleut".
Qu'importe, nous pourrions par exemple monter jusqu'au calvaire.
Je m'effondre intérieurement.
Oui évidemment le calvaire.
Je suis sans mots. Il a pris mon bras, je m'y accroche et bafouille :
Je ne m'attendais pas. Vous croyez ? Vraiment ? Il pleut beaucoup !
Mais Rachel ce que j'aime c'est justement ça, être avec vous sous un parapluie. Aucun scénariste n'a jamais pensé à me faire jouer une telle scène, un village perdu en Provence et vous là, inattendue. Je suis heureux !
Il est heureux d'être à Malaucène avec moi ! Je vais me réveiller.
Malaucène Rachel, ce n'est pas la route de MADISON !
Rachel
Proposition d'écriture de Babeth :
La caméra du grand cinéaste Ozu
Jean Douchet cinéaste et historien du cinéma disait du grand réalisateur Yasujiro Ozu « Il est le premier à imposer une place à cette caméra définitive : celle de la place du chien dans la famille, comme il le disait lui-même. C'est à dire en bas, quasiment sur le plancher et en train de regarder ce qui se passe. Comme si l'idée profonde qui présidait à ce choix était de montrer tous les rapports de comédie, de sentiment, de tristesse, tous les rapports émotionnels qui se passent au dessus de la caméra. »
A la manière d'Ozu vous trouverez dans la ville une place et depuis cet endroit, assis au sol par exemple vous écrirez un texte qui racontera ce que vous voyez. Jamais votre regard ne dépassera une chaise, le bas d'une porte, la hauteur d'un enfant ce qui donnera un accent très singulier à votre récit.
Tel l'œil du rapace, votre regard sera vif et personnel.
L'écriture comme le cinéma est avant tout une histoire de regard.
Puis, vous écrirez en quelques mots un concentré de ce texte cinématographique.
C'était sans doute le verre de trop. Celui qui fait trembler les jambes, vaciller les genoux et oblige à s'asseoir. J'ai laissé tomber ma vieille carcasse sur le seuil d'une maison de bourg. Face à moi une fontaine affublée d'une tête figée à la bouche ouverte en un O suspendu. Quel affront ce visage de pierre, ces yeux exorbités, cette bouche muette, ces joues gonflées de vide. N'y tenant plus mais ne trouvant le courage de me redresser je fuis cette figure obscène. Je tournai la tête, mon regard se porta alors sur deux jambes frêles flottant dans un pantalon trop large, une canne et un cabas. Je ne voyais rien de plus. Mon cou était de plomb et je ne bougeais pas davantage qu'une souris coincée dans un piège. La vieille avançait mollement. Lorsqu'elle passa près de moi elle frôla mes godasses comme une corneille blanche. Je fermai les yeux. Sous mes paupières dansaient les toits de Malaucène.
Babeth
Malaucène,
Un ivrogne impassible,
un visage de pierre,
une vieille en chemin.
Babeth
Devant moi invisible, des jambes passent, rayées de pluie, des pattes aussi, et, plus rares, des roues. Passent aussi des bribes – Par là, c’est le calvaire – À quelle heure, le resto, au fait? - En fond, le crépitement des gouttes. Des pierres, des pierres, crépies ou brutes: murs, maisons, fontaines peut-être, embasements de roches, et le pavé, brillant, moussu qui monte là, juste au-dessus, à l’assaut des hauts du village.
Et puis, moins de jambes, moins de pattes, moins de sons, que des pierres. La pluie a englouti toutes choses passantes. Seule entre pierres et pavés, sans ciel, je n’ai que l’eau qui me noie le cerveau et me glace les doigts.
Geneviève S.
rayées par la pluie
des jambes, des pattes, des sons
des pierres, du pavé, des murs
Geneviève S.
Je suis montée à toute vitesse. Essoufflée, je m’installe au pied du clavaire, assise le dos contre le muret. Derrière moi ces niches mystérieuses dans le rocher.
Je me pose, je respire, j’écoute murmurer Malaucène, les yeux fixés sur les pavés brillants séparés par de petites touffes d’herbe.
Je ferme les yeux pour les rouvrir quand je les entends arriver. Comme une bande son sur fond de rires, d’éclats de voix, de cris. Je ramasse mes jambes. Les voilà. Mon regard se fixe sur leurs pieds ou plutôt leurs chaussures aux couleurs variées : basses, fermées, à lacets, à scratch, plates, à semelles compensées…baskets ou claquettes. Je n’en reviens pas de cette diversité !
Certains pas ralentissent, se trainent. D’autres accélèrent, j’ai à peine le temps de les voir. Mais combien sont-ils à s’attaquer à la calade, envahissant le centre ou empruntant les escaliers qui démarrent le long du mur ?
Petit à petit le calme revient. Les voix s’estompent.
Ils sont sur le calvaire. J’aimerais bien qu’ils y restent longtemps, très longtemps.
Geneviève V.
Le petit enfant oublie très vite la caméra que le metteur en scène a fixé sur son dos. Il avance dans Malaucène, les rues en pente, caladées sont une mosaïque instable. Le chat s’étire, le petit se baisse pour le caresser. Sur l’écran de contrôle un très gros œil rond, irréel apparait, inquiétant. On y lit l’étonnement, la peur. Le chat s’enfuit. L’enfant continue sa marche, passe devant la mairie, il observe l’immense feuille gorgée d’eau incrustée dans le goudron. Cette vision l’effraye. La caméra suit le mouvement de recul du petit. Tout bouge et s’agite. Les murs s’entremêlent, les escaliers tombent, les passants se mélangent. Les images sont troubles, illisibles, la caméra finit par se détacher.
Josiane
Vivre en bas
Depuis des mois, chaque jour, tôt le matin, elle pose son petit banc juste devant le passage de l’Ane. Puis elle s’assied et attend. Pour se donner une consistance, il y a toujours un grand chapeau devant elle. Peut-être quelques pièces jetées négligemment, peut-être rien, ce n’est pas son affaire.
Pour mieux voir le monde, elle a rétréci son horizon, chaque année un peu plus. Maintenant, plus besoin de parler ni de regarder ailleurs. Tout se passe désormais ici. Son poste d’observation est au ras des pavés. Ce bout de rue lui suffit comme terrain d’aventures.
Chaque journée s’égrène au rythme du passage des uns et des autres. A force, elle connaît par cœur leurs habitudes. Elle sait tout du clic clac pressé des talons de la Secrétaire de mairie, du vernis absurde des souliers de l’Employé de banque, des bottines élégantes de la Libraire. Elle reconnaît les baskets usées de ceux qui traînent leur vie, touristes ou égarés. Scrupuleusement, elle note dans son vieux carnet des bouts de conversation, des impressions. Aujourd’hui, par exemple, elle a été épatée par les chaussures à fleurs de la Bibliothécaire. Avec elle, il y avait le Poète aux chaussures confortables suivi d’un groupe de femmes, des égéries ? Rieuses et râleuses, elles sont venues ici, si elle a bien compris, pour faire des photos phrases en territoire écritoire.
17 heures sonnent à l’église Saint-Michel. C’est le moment pour elle de rentrer rassembler les trésors du jour. Aujourd’hui, les chaussures à fleurs de la Bibliothécaire seront à l’honneur ! Elle sort ses pinceaux et une nouvelle toile. Celle-ci s’appellera « Souliers fleuris ». Ce sera, elle en est sûre, une des pièces maîtresses de sa collection de moments minuscules.
Kris
La pierre rugueuse, grise, blanche, noire comme une marche irrégulière luisante, glissante, hostile. Je me souviens de l'ardoise que nous avions ramassée sur le CEZALIER. Il pleuvait aussi ce jour là et nous étions perdues, pas pour nous, pour les autres. L'eau ruisselle maintenant, donne à la pierre des reflets irisés. Je me souviens, j'avais peur des taureaux. Il y avait l'eau, le gris comme ici, l'eau, le froid et le brouillard comme du coton qui nous avait englouties pendant quelques heures et le bruit de l'eau à ras de terre et le gris du paysage.
Le même ici. La pierre s'étale comme une grande ardoise rugueuse irrégulière grise, blanche. Là-bas les barbelés qui entouraient les champs, les barbelés dans le brouillard.
Pas ici les barbelés mais le gris, l'eau, le blanc pareils. La vue brouillée par l'eau. La sensation, la même, perdues, le regard perdu dans le gris, le blanc, le noir, l'eau.
Rachel
Proposition d'écriture de Babeth :
Un arbre à Malaucène
Vous prendrez le temps de découvrir la ville de Malucène à la recherche d'un arbre qui vous inspire. Qu'il soit remarquable ou pas. Qu'il soit porteur d'une force muette, riche de symbole ou modeste comme le sont souvent les arbres de ville, tous ceux qui s'obstinent à pousser entre grilles et bitume.
Une fois votre arbre déniché vous vous mettrez dans sa peau et raconterez un récit, un fait divers dont il aura été le témoin.
Ne croyez pas qu'il soit aisé de monter la garde, de rester sentinelle battue par le mistral, les ardeurs du soleil et les assauts des engoulevents.
Tenir le coup, régner en majesté, au pied du château, surveiller les toits de Malucène et leurs tuiles provençales.
Face à moi un entremêlement de toitures, un enchevêtrement de baraques, une collection de fenêtres. L'outrecuidance d'une cheminée plus haute que les autres. Plus loin une allée de platanes, les derniers survivants du siècle nouveau, mis à genoux un par un par une impitoyable maladie.
Que Dieu me garde !
A ma gauche les Baronnies, une colline de cailloux et de genêts. A ma gauche le Ventoux, le Fuji de Provence. Depuis ma tour d'observation je ne le vois pas mais par delà les quartiers, les parcs et les villas je sens sa noble majesté, son aura de prince au crâne dégarni.
Mais je m'égare !
C'était un matin d'automne. Le jour perçait à peine et dans mon dos seul un rayon solitaire réchauffait ma colonne endolorie.
Soudain je vis sortir d'une lucarne un homme à demi nu. Il s'approchait dangereusement d'un rebord de toiture. Il s'élança plus haut, sauta, courut et pareil au hussard sur le toit, celui de Giono, celui de la méchante peste, il dévala une gouttière, atterri sur la terrasse d'une maison et observa alentour à la manière d'un chat.
Soudain de la lucarne bondit un homme en arme, plus épais que l'autre, plus trapu. Il se laissa glisser, rebondit sur l'autre toit. Il n'avait ni la hardiesse, ni la souplesse de l'homme à demi nu, il n'en avançait pas moins vite.
Cette affaire là me semblait dangereuse. J'entendis alors un bruit sec, et lorsque j'identifiai l'arme au bout d'un poing tendu ma sève se figea. Sur la terrasse le fugitif se sentit acculé. Dans un effort ultime il élança le corps, s'accrocha au chéneau et disparu comme un félin souple et vif par la fenêtre ouverte de la maison aux volets bleus.
Le poursuivant essoufflé avait perdu sa trace.
Du haut de mon perchoir, je repris mes esprits et jurai en moi-même de garder le silence, quelque soit le prix à payer, dussé-je terminer la tête sur le billot.
Babeth
Moi, ci-devant gardien du Calvaire sis sur la motte féodale, atteste sur ma foi que nul à Malaucène ne vit, ni connut ni ouït oncques plus de forfaiteries que moi, le vieux cyprès en-haut du village.
Le temps a passé, et aussi la mémoire, mais je vais vous conter telle vilenie que m’en trouvai pour longtemps chagriné.
A Malaucène, vivait, il y a tant de temps qu’on l’a oublié, certaine pucelle tant mignonne, et gentille, et si bien faite que tous les gars du village, les jeunes et les vieux, n’en pouvaient plus de la guigner, et la guigner encore.
La petite avait mis tout le village en grand émoi, les bonnes femmes aussi: pas sottes, elles savaient bien le mal que ça ferait, et elles gardaient le plus qu’elles le pouvaient leurs hommes à la maison!
Mais voilà, à Malaucène vivaient aussi des hommes sans femmes, et là, le cas devenait grave…
Il y avait surtout le bedeau de l’église, méchant homme s’il en fut, vilain et laid, et qui, de ce fait, était bedeau! Que faire d’autre dans sa situation?
Or, voilà ce que je vis, le soir du jour des morts, du haut de ma colline: sur la petite plate-forme très étroite qui est dessous les cloches, je le jure devant Dieu et devant tous ses saints - ayez pitié de moi et pardonnez ce récit sacrilège -, ce diable de bedeau, la soutane relevée et les cuisseaux au vent du nord, était là, au couchant de ce jour sacré, à besogner – hardi, mon gars – à besogner plein d’ardeur la petiote qui criait à tue-tête, de douleur, pour sûr - mais peut-être de plaisir aussi, nul ne le sait -. Le bonhomme, pas bête, avait bien tout prévu: les quatre cloches, au même moment, s’étaient mises à sonner à la volée, ameutant tout le village et les hameaux alentour! La foule, en-bas, se pressait, apeurée - quel était donc ce nouveau malheur? - cependant que le branle des cloches donnait la cadence au branle du bedeau…
Oncques le village ne revit le bedeau, oncques n’en entendit plus parler…
Geneviève S.
Nous faisons une ronde au sommet de Malaucène. Solidaires les uns des autres. Silencieux. Nous sommes protégés depuis la nuit des temps par Athéna.
Symboles de paix, nous sommes inquiets de la marche du monde. Symboles de fécondité, nous gardons toujours espoir. Moi, encore plus, depuis ce matin, à l’aurore.
Je suis l’olivier le plus proche de l’entrée de l’enclos du Calvaire. Je l’ai vue arriver. Elle montait rapidement en longeant le mur en surplomb. Une jeune femme, longs cheveux bruns détachés et éclairés par le soleil levant étincelant. Elle s’est arrêtée à mes côtés.
Elle avait un bâton de marche. Elle s’en est servi pour dégager une pierre après avoir longuement inspecté le sol. Elle l’a ramassée, l’a fait rouler dans sa main, délicatement.
Elle a alors relevé sa robe. Longuement elle a passé la pierre sur son ventre en cercle de plus en plus large, puis entre ses cuisses. Elle psalmodiait des incantations. Puis elle s’est approchée de moi. Serrée contre mon tronc, elle a murmuré « Je serai de celles qui repeupleront la Terre ».
Elle a jeté la pierre par-dessus le mur, de toutes ses forces. Un cri a répondu. Dans son exaltation, qui a-t-elle donc assommé ?
Geneviève V.
Finalement, je pense que les croyants ont une chance infinie. Cette dame, dans l’église de Malaucène, me raconte avec une conviction extraordinaire que Notre Dame du Suffrage détient une grâce unique, celle d’être marquée à sept endroits par la représentation divine de l’Archange Saint Michel. En me parlant son visage s’illumine. D’autres personnes arrivent, ils s’embrassent. Je les laisse, la messe va commencer. Les cloches sonnent à la volée.
Je suis assise sur le plus long banc du monde, un banc de pierre appuyé à l’église et à La porte Soubeyran qui me raconte son histoire : « Des papes chamarrés aux rouges d’Avignon, j’en ai vu passer des gens de toutes sortes ». Je réalise que devant moi se dresse un moignon de platane qui me crie : « moi aussi j’en connais une tranche de l’histoire de Malaucène ! » Et il se lance : « j’ai été planté là en 1792 par quelques furieux désireux de marquer l’appartenance de Malaucène à la République française. L’arbre de la liberté ! Ah !, j’en ai connu des farandoles autour de mon maigre tronc frêle. Les hommes en bonnets frégiens et des femmes en blouses fleuries. Ils n’en finissaient pas de chanter les louanges et les espoirs de la liberté chèrement acquise depuis l’avènement de la République !
Les années ont passé, j’ai grandi et grossi. La fête a eu parfois un goût cruel quand, presque un siècle plus tard on a pendu à mes branches les adeptes de Saint Simon et les tenants de la Commune de Paris.
Bref, j’ai continué ma croissance jusqu’à faire de l’ombre à la Porte Soubeyran et au plus grand banc du monde où, traditionnellement, les fidèles s’installaient au soleil d’hiver pour attendre l’heure de la messe en égrenant les potins de Malaucène.
Mon sort a été fixé un beau matin où ceux de l’entreprise chargée de construire le boulevard qui monte au Ventoux ont pris des mesures, faits des projections et sans état d’âme ont décidé que je représentais une gêne pour tous, automobilistes, piétons, vélocipédistes. Ils sont revenus avec une scie.
Pendant quelques années, je suis resté un simple reposoir à pigeons, un cabinet à crottes de chien. Puis, un printemps plus doux, plus arrosé ou illuminé par l’Archange Saint Michel, des feuilles sont apparues. Ce feuillage insolite et quasi miraculeux a grandi et grossi. On aurait dit que les feuilles sortaient directement du tronc. Je suis devenu une curiosité botanique, vigie de la porte Soubeyran, sujet pour les photographes et prétexte à écrire pour des fêlés qui ne craignent pas le froid de novembre !
Josiane
Le plus grand banc du monde
L'arbre de Judée a tant de souvenirs
Au nord, le mont Linceul. A l’Est, le Ventoux. Sur le cadran des 14 heures célestes, j’occupe l’espace exact entre la 5ème et la 6ème heure. Entre Simon de Cyrène, celui qui aida Yeshua à porter la croix et Véronique, elle qui essuya Sa Sainte Face. Mes ancêtres étaient enracinés au jardin de Gethsémani. Ils ont assisté à la Trahison. Par trois fois, Pierre, tu L’as renié. La Peur, face au pouvoir des armes, a triomphé de l’Amour.
Ma famille est implantée à Malaucène depuis si longtemps. Je me souviens des fêtes de Samain. Chaque année, les femmes du pays se réunissaient ici pour chanter et danser. Mélange de joie et de folie pendant ces nuits profondes illuminées par les flambeaux. Hurlantes, échevelées, jusqu’au matin, elles faisaient fuir la vieillesse, la maladie, la Mort. L’une d’entre elles, femme puissante, avait choisi mes branches pour confier les peines et les secrets de celles qui avaient perdu un enfant dans l’année. Certains nouveau-nés, dès leur première heure de vie, furent ensevelis au creux de mes racines, promesse d’éternité et de retour aux limbes dorées. Dans ces temps âpres, la mort était préférable à la honte. J’ai accueilli dans les trous de mon tronc tant de mots et de maux d’humains égarés. Misère et guerres, famines, épidémies…
Plus tard, j’étais là quand ils ont célébré le retour de l’équilibre solaire. Christ ressuscité ! L’archange Michaël, élu protecteur du village. Hosannah ! J’étais là quand ils ont nommé notre promontoire Calvaire, Golgotha de Provence, O matrice du Crâne. J’étais là aussi, hélas, en ce funeste siècle quand ils jetèrent dans le vide les trois lavandières. Mes branches en frissonnent encore, souvenir atroce. « La main de Dieu les portera si elles sont innocentes », péroraient ces satans déguisés en soutane. « Sorcières ! sorcières ! » hurlait la foule en liesse.
J’étais là de tous temps et je suis aujourd’hui, en cette époque étrange, à l’écoute des élucubrations de ces êtres qui passent, un objet bizarre à la main, sorte de relique dont ils ne se séparent jamais. Certains s’arrêtent à la table d’orientation juste devant moi, prennent une photo, se lamentent parfois de la disparition du Mont Ventoux, caché dans les nuages. Tous ces passants qui passent sans rien voir ni savoir des Stations du Chemin, leur crâne vide des symboles qui tiennent pourtant le monde debout.
Hier, j’ai eu écho des violences proférées au pays de mes ancêtres. L’archange Mickaël a beau avoir posé ici ses ailes protectrices, les ravages de la haine ont répandu leurs vibrations néfastes jusqu’en haut du calvaire. Moi, l’olivier de Judée, l’olivier de la Paix, j’observe l’horizon. Mon corps de bois est fatigué de porter l’espoir et la miséricorde dans ce monde en sursis. Très tôt ce dimanche, quand le son du carillon des sœurs de cuivre est monté du village, notre communauté silencieuse s’est mise à pleurer. De nos branches, en chœur avec la pluie et le vent levé, certains, dans le village, ont clairement entendu un chant, telle une litanie qui disait : « Espérance espérance ! »
Kris
Le vieux cyprès de MALAUCENE
Je suis le plus vieux cyprès de Malaucène, peut-être même de la Provence. Si je compte bien j'ai vu le jour il y a maintenant près de quatre cents ans. J'ai grandi dans la campagne provençale aux alentours du château de Malaucène. A l'époque j'appartenais au Comtat Venaissin. Mon enfance fut heureuse, je poussais sur la terre qui recouvrait pensait-on l'ancien cimetière d'un village romain dont il ne restait rien. J'étais seul mais libre. Le paysage autour de moi était magnifique. Le mont Ventoux et les dentelles de Montmirail se dressaient fièrement dans le ciel bleu de Provence. Les oliviers se mêlaient aux buis et à la lavande sauvage.
J'avais été planté sur le bord de l'ancien chemin qui menait de Carpentras à Vaison la romaine par un jeune homme désespéré par la disparition de sa femme morte en couches et de sa petite fille quelques heures plus tard, avant d'avoir pu être baptisée et enterrée dans le cimetière de Malaucène. Elles avaient été inhumées toutes deux sans sépultures. C'était courant à cette époque. Par son geste il avait voulu leur rendre le respect que l'église leur refusait. Il ne s'était pas consolé et mourut un an plus tard. C'est du moins ce que racontaient les anciens.
Pendant les années qui suivirent les amoureux prirent l'habitude de venir poser quelques fleurs à mes pieds en souvenir de ce jeune homme malheureux. Ils faisaient un vœu afin que je leur porte chance et surtout en espérant ne pas connaître la même destinée tragique. Puis la coutume se perdit.
J'étais déjà grand quand survint l'hiver terrible de 1788 - 1789. Cette année là le froid et le gel détruisirent les récoltes ce qui entraîna la disette et des émeutes dans toute la région. Je faillis être abattu au moment de la Grande peur, par une bande de vauriens ivres et prêts à tout, dans la panique qui se répandit dans tout le Comtat. Le fait d'être le seul cyprès dans la plaine me porta chance grâce aux légendes qui racontaient que j'étais un intermédiaire entre le ciel et la terre, les morts et les vivants. Ce n'est pas faux, je fus épargné. Mon nom m'a sauvé, cyprès - si près du ciel. Le château fut pillé et détruit comme tous ceux des villages avoisinants. La révolution qui suivit emporta l'ancien monde et en 1791 le comtat Venaissin fut rattaché à la France et devint le département du Vaucluse. Je me souviens des fêtes qui se déroulèrent à cette occasion ; moi je n'étais pas certain que ce soit une bonne chose.
Je ne me trompais pas. Dans les décennies qui suivirent le calme ne revint pas. Il fut troublé par la grande épidémie de peste noire venant de Marseille qui se répandit en trainée de poudre dans notre campagne semant la mort et la misère. Pendant tout le siècle les émeutes successives, les inondations, les révolutions agricoles et autres achevèrent de modifier le paysage. Je résistais. Sur les ruines de l'ancien château on construisit un calvaire, de nombreux cyprès mes frères y furent plantés. Ils sont en gloire derrière moi sur les hauteurs jalonnant un chemin de croix. Vers la fin du siècle les gens se mirent à voyager. Il n'était pas rare que je vois des promeneurs venus admirer le Mont Ventoux, marchant dans la campagne, ramassant fleurs et plantes sauvages pour en faire des parfums ou des médecines ou tout simplement des bouquets.
Je me souviens particulièrement d'un jour qui a marqué mon existence. C'était une journée de Juin de l'année 1888. Il faisait un temps délicieux un ciel bleu sans nuage, le soleil chauffait, une légère brise atténuait ses ardeurs. A l'angélus de midi je vis arriver au tournant de la route deux jeunes hommes coiffés d'un chapeau de paille à larges bords, habillés d'un pantalon flottant et d'une vareuse, chaussés de galoches. Ils portaient chacun un sac sur leurs épaules. Ils avançaient en bavardant, riant, se bousculant. Ils s'arrêtèrent en arrivant à ma hauteur. Je leur faisais une ombre légère et bienfaisante. Ma couleur d'un vert profond qui chatoyait sous le vent leur parue intéressante. Je compris à leur discussion qu'ils étaient peintres. Ils arrivaient d'Arles pour admirer le Mont Ventoux et mieux connaître la région où ils venaient de s'installer. Ils décidèrent que l'endroit leur plaisait pour déjeuner sur l'herbe à mes pieds. Ils sortirent de leur sac des carnets et des crayons qui voisinaient avec leur pique nique qu'ils installèrent sur un grand morceau de tissu bariolé tout en s'interpelant par leurs prénoms Paul et Vincent, se lançant des bourrades et riant aux éclats comme des amoureux. Je les trouvais beaux. Il déjeunèrent de saucisson, de fromage de chèvre et de pain de campagne, ils burent beaucoup. Puis après avoir sommeillé un peu ils s'installèrent pour dessiner. Je fus à l'honneur. Ils firent de moi une quantité de croquis sur tous les angles. En fin d'après-midi ils s'arrêtèrent et échangèrent leurs impressions sur les esquisses qu'ils avaient faites. Je vis une ombre de tristesse passer sur le visage de celui qui s'appelait Vincent. Il prit son ami par le cou, se pencha vers lui et j'entendis distinctement :
- Tu sais Paul, je sais qu'un jour les gens feront la queue devant les musées pour voir nos tableaux.
Il y eu un moment de silence puis Paul, gagné par la tristesse de son ami le pris dans ses bras, le serra contre lui, et partant d'un grand éclat de rire s'exclama :
- Je sais Vincent ! Je sais !
Ils ont rassemblé leurs affaires et sont repartis. C'était une journée un peu magique que je n'ai pas oubliée. Le temps a passé. Petit à petit les constructions du village se sont étendues jusqu'à moi. Chaque fois j'ai été épargné et j'ai fini par me trouver coincé au milieu d'une ruelle entre des maisons. Ma cime dépasse maintenant les toits et se détache dans le ciel. Je vois beaucoup de choses, j'entends les conversations des passants et des touristes qui s'arrêtent devant moi pour me photographier.
Récemment une vieille femme, se promenait avec un groupe qui écrivait tout en visitant le village. Elle s'est arrêtée devant moi, m'a regardé longuement comme si elle me reconnaissait. Je l'ai entendue dire à ses amis :
- Connaissez vous le tableau de Vincent van GOGH qui s'appelle "route avec un Cyprès et une étoile" ? Au bas du tableau il y a deux petits personnages qui marchent sur la route.
Personne ne répondit. Elle continua de raconter : Il a été peint en 1890 peu de temps avant la mort de Vincent. C'est un chef d'œuvre qui se trouve au Musée KROLLER MULLER à OTTERLO aux Pays-Bas où j'ai eu la chance de l'admirer lorsque j'habitais en Hollande. Ses amis l'écoutaient, elle poursuivit :
- Et savez-vous que Vincent peu avant de mourir, alors qu'il était dans un état de dépression, de dénuement et de tristesse écrivit à son frère Théo qui lui permettait de vivre et de peindre " Je sais qu'un jour on fera la queue devant les musées pour voir mes tableaux". ? J'ai frémi de toutes mes branches, je reconnaissais la phrase de Vincent prononcée ce jour de juin qu' il avait passé avec Paul près de moi.
J'appris ainsi que mes deux peintres en escapade étaient devenus si célèbres que leurs œuvres s'exposent maintenant dans les musées où les foules du monde entier viennent les admirer.
Moi dans ma petite rue de Malaucène je suis heureux d'être seul à connaître la véritable histoire du tableau de Vincent avec le cyprès au bord de la route. J'ai reconnu la phrase surgie ce jour de juin dans la bouche de Vincent. J'ai compris que le cyprès qui figure sur la toile a été peint d'après un croquis qu'il avait fait de moi et que les deux petits personnages au bas du tableau ne sont autres que Paul GAUGUIN et lui-même repartant bras dessus bras dessous en fin de journée par l'ancienne route de Vaison à Carpentras qui passait non loin de Malaucène.
Deux ans plus tard , à Saint Rémy de Provence Vincent a peint ce tableau. Peu avant de mourir, écrivant à Théo, il se souvenait de la belle journée de juin avec Paul et de l'émotion qui les avait saisis tous deux quand il avait prononcé cette phrase.
Comment Vincent sans avoir jamais vendu une toile pouvait-il deviner ?
Je suis très vieux j'ai vu et entendu beaucoup de choses dans ma vie. Il ne m'a pas fallu longtemps pour trouver la réponse. Ce jour là, ce beau jour de juin Vincent a su que ses tableaux que Théo ne parvenait pas à vendre seraient un jour hors de prix et exposés dans les musées parce qu'il savait et Paul le savait aussi que c'est sa vie qu'il mettait dans ses toiles et que la vie n'a pas de prix...
Rachel
PS : le tableau dont je parle est actuellement au musée d'Orsay à Paris dans l'expo consacrée à Vincent Van Gogh à Auvers s/Oise.