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Mémoires de sang
Appel des morts
Signe de l’ange
Hommage du soleil et de la vigne
Hommage à la vie.
Aline
Berceuse rassurante du flot de paroles qui s’échappe des tables voisines. Douceur du soleil sur les épaules.
Tout porte à la somnolence si ce n’est cette chaise inconfortable dont les montants coupent la circulation, si ce n’est ce coup de klaxon intempestif, si ce n’est cette injonction impérative : écrire, écrire ce qui résonne en soi ! Ici et maintenant.
Le vide en elle se remplit de mots : platane, puits, pierres,… Elle renonce aux phrases, se laisse submerger par des sentiments de bien-être, d’amitié partagée, d’instant suspendu…
Aline
Etre. Etre d’un seul tenant sans masque sans fard, sans frontière ni limite. Etre jusqu’au bord de soi-même. Etre tel le Bouddha en sa prime jeunesse. Etre ici maintenant, sans regret ni attente, éphémère. Etre oiseau de passage, promeneur insouciant. Etre Arbre, peu importe l’essence. Etre racine, tronc, branche et feuillage jaunissant.
Etre le réceptacle et le communicant, sans souci du paraître et du qu’en dira-t-on. Etre l’hôte de l’instant, des voix qui s’interpellent. Devenir l’univers, être à l’unisson des lieux comme des gens.
Etre celle qui écoute, qui entend et attend le fugace moment. Traverser les écueils, les tempêtes et les songes. Etre, profondément. Devenir salamandre. Enchanter le réel quand il coule au soleil. Etre le noir, le blanc, la ligne d’horizon. Etre caméléon.
Assise sur un banc, au cœur de ce village, se saisir de l’étoile. Aimer, sans condition.
Christine
La sieste
Fermer les yeux, le soleil traverse les paupières, une lumière chaude teintée de rouge, jaune. Dans ce camaïeu, je distingue dans un coin d’ombre, enjôleuse, une chaise longue orange, me laisse glisser vers cette promesse d’assoupissement. Le stylo peut bien me tomber des mains. Le fond sonore que constituent les voix des voisins de table, une litanie d’où des mots surgissent pour disparaître aussitôt, leur sens m’échappe et je n’essaye pas de le rattraper. Les arbres de la place, bienveillants, veillent sur nos âmes, la mienne s’étire doucement sous mon crâne. Elle butine les reflets de l’eau au fond du verre et se nourrit de la chaleur d’automne, généreuse à cette heure, sans violence aucune. Au cœur de la place, cernée par des bâtisses anciennes, le cœur ralentit. On est à l’abri. Le temps peut bien s’arrêter, je me fiche du passé… Tiens ! Réminiscence ! L’ombre de mon stylo sur la feuille, celle de ma main m’indiquent que je trace les élucubrations d’un cerveau entre veille et sommeil. Accueillir ce petit souffle frais qui caresse le visage. Il sera bien temps de reprendre un rythme plus soutenu. La mollesse, vertu oubliée, la paresse, une valeur mésestimée. L’heure de la sieste, c’est sacré !
Colette
Moi et moi
- A la table d’à côté, un chauve « Je ne dis pas qu’il a raison ». Jeune, charmant, mais plus un poil sur le caillou.
- A l’autre table, un couple « Et alors ? C’est comment ? »
- Nous « On voudrait payer ! ». Mais vous avez le temps ! Prenez votre temps pour écrire.
- Moi en mon for intérieur « Ecrire oui ! Vite dit ! En étant contemporain à soi ? De soi ? En soi ? » Elle ne se doute pas la serveuse dans quelle perplexité je suis ! Prenons donc le temps, d’un vrai échange entre moi et moi. Pas trop l’habitude de ce genre d’exercice mais pourquoi pas tant que ça ne vire pas au dialogue de sourds, au pugilat ? Je suis de bonne volonté, comme toujours !!
Heureusement, le soleil inonde la place. Tant que je peux profiter d’un rayon de soleil, tout est possible.
- « Tu boudes Nénette ? » Non, je me suis levée à 5h10, je prends le soleil.
Mes copines écrivent, je les regarde admirative, à, de, en ?? Rien ne les arrête. Elles sont appliquées, certainement créatives, originales.
Je les observe, calée dans mon fauteuil. Une douce torpeur m’envahit. Va-t-elle m’empêcher d’évoquer plus avant cette jolie place au nom évocateur de tant d’espoir et de drame ? Je suis touchée par la douce lumière d’automne, la vie simple de la cité qui m’entoure, la poste, la mairie, les cafés, la vie simple, l’équilibre !
Mais, loin de tout questionnement intime, d’interrogations métaphysiques, d’analyses de mon moi, mon sur-moi ce qui résonne en ce moment précis où je suis là, sur cette place, indubitablement, c’est l’envie de ne pas me forcer et de remettre à plus tard la discussion entre moi et moi !!
Josiane
Il était une fois, dans la ville de Foix…
- NON ! de Villeneuve Lez Avignon !
Monsieur Toutblanc remontait seul les Champs-Elysées…
- NON ! la rue Marcel Farigoule !
En ce jour de prise de fonction, Monsieur Toutblanc sentait le poids des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Sa garde rapprochée, nommée précipitamment, ne connaissait guère les usages. Toute de noir vêtue, elle crut devoir l’entourer en marchant au pas. Monsieur Toutblanc ne l’entendait pas ainsi. Repérant un mécréant, il se tenait prêt à lui clouer le bec. La garde rapprochée – hélas – ne connaissait pas plus la dialectique que les usages. Elle se dispersa donc, laissant Monsieur Toutblanc affronter seul un radical tout aussi dogmatique que lui.
Aline
Tout en haut de la tour – je vous parle d’un temps où le sieur Philippe, dit Le Bel tant sa grâce éclairait le royaume de France empiété juste en face par l’enclave papale – vivait une colombe, blanche princesse du pigeonnier royal, où les meilleurs messagers avaient été sélectionnés au service du Roi.
Or donc, en l’an de grâce 1278, Blanche Colombe en a assez de rester séant pendant que ses compagnons s’ébrouent à travers ciel. Un jour de grand ennui, elle décide donc de partir à la découverte du grand monde. Elle attend jusqu’à l’aube que la porte s’ouvre et la voici, qui tire de son aile jusqu’au parvis de l’église de la Collégiale. O Liberté, que ferai-je de toi, se dit-elle aussi sec … Commençons par gouter quelques miettes de ce pain noir que les paysans, paraît-il, trempent dans leur soupe le soir… hum quel délice…
Le plaisir hélas ne dure guère ! Alertés de la disparition de la belle, les gardes pigeonniers ont lancé à ses trousses cinq des meilleurs pigeons royaux. La voici entourée par ces rustauds roucoulants. Entrons dans la danse de ces piètres cerveaux… Voyez-vous comme ils dansent près du pont d’Avignon ? Tout en rond et en cadence… la belle se désaltère des regards affairés de ces encombrants compagnons… les beaux pigeons font comme ci, les beaux pigeons font comme ça… et puis encore comme ci et puis aussi comme ça… si bien qu’à force de tourbillons, ils ne virent pas la colombe s’envoler à tire d’ailes, traverser le grand Fleuve et se poser au sommet de la Cité des papes où elle choisira de rester… et c’est depuis lors que l’on nomme Blanche Colombe, l’Oiseau de Paix…
Christine
Petit, petit bois de pins que ce bois de pins ! Si petit que le terme de « bois » peut sembler inapproprié. On pourrait dire - et cela suffirait - « quelques pins en bordure de la route. »
Se pose bien sûr la question : combien d’arbres faut-il pour que « des pins » constituent un bois ? Je ne sais pas si quelqu’un s’est déjà posé la question. Ce que je sais par contre, c’est que de nombreux physiciens se sont demandé comment définir un « tas de sable », le tas de sable ayant des propriétés mécaniques tout à fait différentes de celles du grain de sable. Ils ont sans doute une réponse… Peut-on assimiler un pin à un grain de sable et par extension, un bois de pins à un tas de sable ? Encore une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Mais un tas de bois, je sais ce que c’est…
J’en resterai là pour aujourd’hui !
Aline
On se croyait tranquille, à l’abri des regards. En fait, il grouille de bruits automobiles et de mémoires anciennes, épines des souvenirs. Pins maritimes, Pins parasols d’Oléron. On ramasse les aiguilles qui feront cuire les moules de l’églade. Peu d’ombre, pas de branches basses pour grimper au sommet. Des troncs rugueux où s’écorchent les mains. Pas vraiment une forêt dans laquelle faire semblant de se perdre… Un espace interstice. Une zone de pique-nique pour estivants… un non-lieu…
Pourtant, on l’aimait bien ce joli bois de pins qui bordait le chemin de la côte.
On apprit bien plus tard que la pomme de pin dépassait toutes les autres. Est-ce au fond de cette pomme dont nous parle la bible, ce fruit de connaissance qu’il n’aurait surtout pas fallu manger sans succomber au courroux éternel… Pomme, pomme de pin présente dans toutes les traditions…
La Bouddha porte les siennes sur sa tête en guise de chapeau ; les églises, les temples, les synagogues les multiplient dans ses représentations. Mystère des mystères de l’ésotérisme botanique. Pomme, pomme de pin, te voilà donc au centre de l’humain, en ce lieu fécond où logerait l’âme, dit-on… Troisième œil des mystiques, des sages et des saints. La voici donc la minuscule glande pinéale, celle qui fait honneur aux biologies humaines et animales. Dans le silence des méditations, elle s’ouvre et vibre et offre intuitions, rêveries, imaginaires féconds. Elle alimente de rêves les cerveaux asséchés par l’ennui de la vie.
Christine
Formules
Formule chimique :
La résine translucide, joyau d’ambre quand elle perle à vos troncs et rencontre la lumière.
Vos aiguilles tardent à se dissoudre, tapis plus que tourbe.
Formule mathématiques :
J’aime pas les maths, sais pas compter mais un plus un, plus un, plus un… quand commence l’idée de pinède ?
Formule délicieuse :
Petite, je ramassais les pignons, cassais la coque, mangeais le fruit et aussi les graines ailées, bien avant que je sache les verser dans les verres de thé ou les mêler aux gâteaux de pommes de l’Automne.
Formule magique :
Quel artiste a décidé de la courbure de leurs branches ? Soudain au détour du chemin côtier, du bleu, du bleu, du bleu et le scintillement à travers les aiguilles des pins d’ici. Et mon cœur s’emplit du goût de l’infini.
Colette
Cerné, cerné le bois de pins
par la noria des voitures à droite,
par la barre des voitures devant,
gros insectes rouges, gris, bleus,
par les chants des oiseaux là-haut
qui strient les trouées entre les faîtes,
par les murs crénelés à gauche
qui avalent la lumière,
par l’herbe en-bas, mêlée d’aiguilles
et de pommes tombées,
et aussi par le temps,
un temps entre le temps des feux,
le temps des feuilles jaunes et rouges
là, de l’autre côté,
le temps puissant du fort
et le temps des heures,
celui du soleil.
Geneviève S.
Mieux que rien !!
Ce petit bois de pin, c’est déjà mieux que rien même si rien ce n’est pas grand-chose. Pardon !! C’est le rosé du pique-nique !! Mais, c’est vrai, ce bois de pin est tout petit, étroit, au bord de la route et du fracas incessant des autos et même des autobus urbains. Blotti au pied de la colline où domine le Fort Saint André, il sera bien vite à l’ombre, noir.
Il est bien ce petit bois de pins, un peu loin du café dont je rêve après déjeuner mais avec des arbres, des pins… Oui des pins, plantés là par les paysagistes de la ville en veine de méditerranéité. Il faut bien que les végétaux urbains participent à la magie des monuments historiques de cette belle cité. Et puis, un bois de pin, c’est un bon compromis. Pas besoin d’un grand entretien, pas de taille ni d’élagage. Pas de feuilles à ramasser à l’automne. Le rêve des jardiniers. Et dans les aiguilles de pins, rien ne pousse, pas de désherbage, tout bénef pour les espaces verts de la ville !!!
Assise par terre, dans un rayon de soleil sauvé de l’ombre collinaire par la proximité d’un conteneur à poubelle, je lutte contre des fourmis agressives décidées à me dissuader de me mettre en chien de fusil sur ma veste étalée pour une sieste méritée. Je me lève excédée, que vois-je ? Ma veste est constellée de résine. Vive le petit bois de pins !!
Josiane
16 octobre 2021
Une fourmi passe sans s’attarder
Les aiguilles de pins forment un tapis.
Les voitures s’approchent, passent puis s’éloignent.
De temps en temps, on entend un oiseau.
Le ciel, quoi qu’il en soit reste bleu.
Le vent est frais mais doux.
Ailleurs, il y a longtemps dans un autre bois de pins.
Nous marchions sur un autre tapis d’aiguilles moelleux et piquant.
Nous observions d’autres fourmis travailleuses mais indifférentes à notre présence.
Nous cueillions et tissions de longues herbes un peu jaunies.
Nous achetions du pain d’épices, des confiseries et du miel de lavande chez l’apiculteur.
Nous rentrions à la maison, les joues rougies par le mistral.
Sylvie
- Un chauve en vue !
- Lâche le chien !
- Un chien en rut…
- Un lézard dans la nature.
- Ecrire dans le carnet : un chauve, un chien, un lézard.
- Pour la revue ?
- Pour la revue.
- Et la seiche ?
- Le cri de la seiche ?
- Le rire de la seiche ?
- Le salut de la seiche ?
- La seiche en sauce au vin !
- Et une tarte au…
- Une tarte au chat !
- Cha… lut
- Tu charries !
Aline
Hier, tu es venue dans la vie nue. Tu as vécu en vain sur les rives, dans les rues de cette ville énervée. Tes rires se sont taris ; à sec, vide de sens, la chaleur a vrillé tes carnets de dérive…
Lavée à l’eau lustrale, entre dans la danse du Très Saint, du Très Haut… Viens au-devant du vent, lâche les ruses du rien, les vices, le néant. Deviens le Vide au travers de la vitre. Deviens l’escalier, l’âtre, l’encrier. Deviens le chat, le chien, le devin. Viens ! Entre dans la Vie dans la vie. Dans le silence de la chartreuse, seule la valeur de Dieu vaut ici.
Christine
Le chauve
Le chauve lâche et vil renâcle. Il est en rut et dans les rues de la ville, les rires taris tracent un arc de silence. Il vient par là. La Chartreuse est devant lui. Il ruse, suit le chat puis s’énerve, dérive… Qui saura arrêter ce saut dans le vide. De là-haut il crie déjà ! La chaleur sèche la chair éclatée. Une tâche s’encre sur le sein. Un chien châtré révise la valeur de la vie. Ne tenir à rien. Se lève une lune neuve sans rature ni nervure et la nuit s’éclaire. Le saint veille.
Colette
la chaleur neuve-née
lèche les vitres nues
l’encrier-verre éclate
crie son rire à travers
les vastes travées vides
toi tu écris le rêve
de la sœur chartreuse:
châtrer le chien en rut
de la ville en dérive
les siècles de sévices
Geneviève S.
Le chat lecteur
La chaleur venue, le trille du chat vrille la ville. Son cri lâché, dérive à travers la Chartreuse et les rues de Villeneuve. Il veut réviser et raturer l’article mais c’est en vain car son encrier est vide, tari. Il renâcle en silence sur la travée nervurée par la lune. Il ruse en riant de son rut, la truelle neuve sur son sein, il trace un arc et s’écrit, énervé, tue ce saint chauve sans dieu !!
Josiane
J’écris dans un carnet :
Ce sera l’heure du chat.
Il s’installera là
Près de la lavande
Dans la chaleur et le silence.
Et puis, ce sera l’heure de la fille
Celle qui crie
À la dérive.
Et ça durera, ça durera.
Sylvie